LE KEPLER TRACK EN BAROUDE SOLO


« Il se fît un abondant silence à l’entour et la majeure partie du monde se mit à compter pour du beurre. »

(L’Ecume des Jours, B. Vian)

« Je n’ai pas peur de la route, faudra voir, faut qu’on y goûte. »

(Noir Désir)

***

J’en parlais en début d’année. En 2016, je voulais essayer une rando de bout en bout, toute seule. Ayant élu domicile à Te Anau, le Kepler Track,est rapidement devenu à la fois une évidence et un nouvel objectif. Mon premier mois de travail en tant que Kitchen Hand me permet de générer assez d’argent pour me payer une Great Walk.

(Read this post in English!)


Pour rappel, il existe 9 Great Walks en Nouvelle Zélande et elles se démarquent des autres randos par leur popularité, leur accessibilité au plus grand nombre, mais aussi… Leur prix. Lorsqu’une nuit en Hutt sur un chemin de rando te coûte parfois moins de 20$, une nuit en Hut sur le Kepler c’est tout de suite 54$. Multiplié par 3 nuits, donc. J’économise sur les transferts puisque le Track est une boucle qui débute à environ 3km de la ville, au barrage du Control Gates.

Je suis bien préparée. Grace à Clémentine, je suis organisée, j’ai une paire de lacets de rechange, mes baumes du tigre, une popote empruntée à Gové, une gazinière, mes flip flops , ma veste de pluie, mon couteau suisse, un briquet, mes sachets de bouffe labellisés pour chaque repas, et… Du chocolat.


JOUR 1 : 8, WORSLEY STREET – MOTURAU HUT (17,5 km)

Salut l’ami!

Voilà je suis lancée. J’ai un peu la crève (merci Edgar), mais je me shoote aux vitamines. Au départ je pensais me faire déposer au départ du track, au Control Gates, et puis finalement je préfère marcher (c’est un peu pour ça que je suis là). Je dis bonjour à la statue du randonneur, au Takahe du Bird Sactuary et je trouve pleins de champignons écarlates sur le chemin. La Waiau River m’accompagne sur cette première partie, ainsi que les Tomtit et les Silvereye. Il pleut un peu, mais la canopée des arbres me protège.

Arrivée au pont suspendu du Rainbow Reach, j’essaie concrètement la popote que Gové m’a prêtée pour la première fois. C’est pas sorcier finalement, je m’en sors plutôt bien. Je rencontre un couple d’allemands, Christina et Joe, ils vont dans la même direction que moi sur le track (le sens horaire, contraire à celui que la plupart des gens font). On accroche bien ensemble. Je les retrouverais tout au long de mon aventure.

Rainbow Reach

Comme je vois toujours des gens randonner avec des bâtons, je m’en trouve un dans la forêt que je taille un peu, et effectivement, c’est un peu comme une troisième jambe, un autre soutien, quand le terrain est glissant ou pentu. Je laisse dériver mes pensées. Je me rends compte que mn angoisse numéro un concerne mon après-Nouvelle-Zélande. Effectivement à trois mois de l’expiration de mon visa, il est temps de prendre une décision. Est-ce que je jette mon billet retour et je pars en Australie ou à Hong Kong ? Est-ce que je jette mon billet pour barouder l’Asie ? Est-ce que je modifie mon retour pour avoir un stop-over en Asie, je rentre en France pour postuler au Working Holiday Visa Japon ou Argentine (ce que je ne peux faire que depuis la France) ? Je marche et je rumine.

Lorsque j’arrive à ma première étape, il est 16h passées, la Hut se trouve au bord du lac Manapouri. C’est bruyant. Je m’isole. Je viens de passer la journée avec le silence de la forêt, le vent et les oiseaux. Il pleut un peu, il fait frais ici.

Je m’installe à l’étage, au lit n°24. Dans les Hut, c’est premier arrivé, premier servi pour les lits. Il faut bien choisir en fonction de la chaleur et de la taille. Moi, je m’en fiche un peu. Je signe le registre (utile pour que les rangers puissent savoir si nous avons atteint nos étapes, au cas où nous serions portés disparus), je me fais à manger, et je m’installe à table avec Christina, Joe et deux frères anglais.

La ranger nous fait un briefing sur la Hut, le temps prévu le lendemain, les points d’intérêts, et quelques règles de courtoisie. Par exemple si on se lève tôt, on est priés de remballer notre sac dans la cuisine, histoire de pas réveiller tout le monde avec des bruits de papiers froissés (surtout qu’on a tous des sachets protecteurs de pluie dans nos backpacks). L’électricité est rare ici, du coup, extension des feux vers 21h.


JOUR 2 : MOTURAU HUT – IRIS BURN HUT (16,2 km)

C’est reparti mon kiki

Ce matin, le track est superbe ! On dirait la forêt enchantée avec la rivière et les fantails qui me suivent. J’ai barbouillé mes épaules de baume du tigre, elles me font mal. Je fais ma pause à Rocky Point, juste après la vallée où se trouve le Big Slip, un glissement de terrain très impressionnant. Je me fais littéralement dévorer par les sandflies. Ces pétasses me piquent même au travers de mon (épais) leggings.

Wild Mushrooms
Glissement de terrain – the Big Slip

La vallée laisse place à la forêt enchantée de nouveau, puis j’arrive à Iris Burn en même temps que les deux frères anglais. Nous sommes les premiers. (Quoi, moi je suis dans les premiers ?!). Ranger Robbie nous accueille, il y a des cascades mais aussi une rivière pas loin. Il fait grand soleil, je sue. J’essaie de me laver dans la rivière mais c’est vraiment TRES froid. Bienvenue en montagne. J’y aperçois un Whio, un Blue Duck, une espèce très rare et menacée.

Dans la Hut, je trouve un livre sur le Kepler Challenge. Tous les ans est organisée une course sur le Kepler. Les records sont impressionnants : Phil Costley a fait le track en 4h10. 60km couverts en 4h10. Moi il m’a fallu presque le même temps juste pour aller de Moturau Hut à Iris Burn.

Allez viens, on est bien là

J’ai gravé mon prénom sur mon bâton. La Hut est blindée de gens mais très chaleureuse. Tous ces gens parlent le même langage, celui des baroudeurs, des randonneurs. Kepler je me sens bien chez toi. Je m’endors dans le lit n°14 en lisant l’Ecume des jours. J’ai du mal à croire que j’ai déjà atteint la moitié de mon trip.


JOUR 3 : IRIS BURN HUT – LUXMORE HUT (14,6 km)

Ca grimpe!

Ce matin, c’est hardcore. Je grimpe dans la forêt, j’escalade une montagne, quoi. J’ai passé pleins de rivières et plus j’approche du sommet, plus je devine la vue de dingues qui m’attend. Sortie de la ligne forestière et arrivée sur la crète, je ris, je crie presque. Je suis AU DESSUS DES NUAGES. J’en crois pas mes yeux. J’hésite à faire une pause goûter parce que je suis séchée, mais le prochain abri ne semble pas trop loin alors je continue…

I follow rivers
Un océan de nuages

Sauf que. Y’a des escaliers. Des centaines de marches. Je m’arrête de compter à 200, sinon je suis découragée. J’arrive au Hanging Valley Shelter vers midi. Je prends mon goûter quand même, il y a un autre abri sur les crètes, mon déjeuner attendra.

Putain, y’a combien de marches là?!
C’que c’est beau là haut

Le track est SUPERBE le long des crètes, plus simple aussi mais je suis épuisée. Le soleil tape pas mal à découvert, j’étais plus au frais sous les arbres. Le chemin semble être sans fin… J’atteins le Forest Burn Shelter vers 14h pour le déjeuner, et j’y ferais mon premier pipi en altitude. Ouais, moi je trouve que ça vaut le coup d’être mentionné, de pisser dans des chiottes à 1270m d’altitude.

Pleins les yeux
Mont Luxmore

Dernière ligne droite jusqu’à la Luxmore Hut. Sur le chemin, il y a le Luxmore Summit avec la vue de ouf à 360° sur les montagnes, les crètes que je viens de me taper, le lac Te Anau et la ville de Te Anau en contrebas. J’y pose mon cul et je ferme les yeux une quinzaine de minutes. Il fait chaud, il fait beau, les couleurs scintillent.

J’arrive à Luxmore Hut et j’y retrouve mes amis anglais. Le couple allemand nous rejoint plus tard. Je me prélasse au soleil. La hut est blindée d’un groupe de randonneurs du Rotary Club. Je fais un tour aux Luxmore Caves, mais franchement je suis déçue. Après avoir exploré les Abbey Caves, celles-ci semblent petites et manquent d’intérêt sans glowworms. C’est ma dernière nuit sur le track, je joue aux cartes avec ceux que j’ai rencontrés depuis Moturau Hut, on est 8, les deux frères anglais, le couple d’allemands, un autre couple de jeunes allemands et une anglaise. La plupart des gens font le track dans l’autre sens, c’est pour ça qu’on est si peu à se connaître. On joue au Uno sans le Uno, avec un jeu de carte normal, ils appellent ça ‘Mau Mau’. L’anglaise me dit que je suis en forme physiquement (‘pretty fit’) comme une antilope. Qu’elle me voyait gambader sur la montée dans la forêt ce matin. J’ai plutôt l’impression d’être un gros sac qui se traîne en montée, mais entendre ça, c’est quelque chose qui me va droit dans le cœur. J’ai toujours pensé que j’étais pas faite pour l’effort physique, que j’étais pas ce genre de personne, tu sais. Et si je me trompais ? Et si moi aussi j’étais une randonneuse ? Ranger Peter nous montre les étoiles ce soir. J’ai pas tout compris à son accent, mais c’était beau. Il dit qu’il faut prendre soin de notre planète parce que les autres sont beaucoup trop loin. On a qu’une maison et c’est ici.

C’est étrange à dire, mais je ne veux pas rentrer. Le track est dur et douloureux parfois (salut, j’ai des bleus aux épaules que le baume du tigre peine à soulager!), mais la beauté, quoi. La beauté est partout.


JOUR 4 : LUXMORE HUT – 8, WORSLEY STREET (13,8 km)

Bonjour!

Ce matin, tout le Rotary Club s’est réveillé super tôt, genre 6h, et ils ont fait un boucan d’enfer. J’expliquais plus haut le briefing des rangers quant aux bruits de sacs, du respect des autres randonneurs etc, ben ces gars-là, pour des gens habitués aux randos, m’ont laissé sans voix. Entre le bruit de repackage de backpack, les chuchotements qui se finissent bientôt en ‘Martine, c’est toi qu’a embarqué le poulet ?!’ (en anglais évidemment) hurlé d’un bout à l’autre du dortoir, j’en peux plus. Je demande à ces deux grognasses en bas de mon lit si elles peuvent juste baisser d’un ton, parce que mine de rien, je dormais, et que moi aussi je randonne quoi. Elles m’ont regardé, et m’ont rigolé à la face. Depuis que je suis en NZ, c’est la première fois qu’on me fait ouvertement preuve de tant de mépris. Je tourne et me retourne dans mon pieu, rien à faire, trop de boucan. Je finis par me lever, croise mes amis, qui semblent tout aussi interdits et énervés que moi. Ils sont scandalisés.

Mais après… Je jette un œil dehors, et en contrebas il y a un OCÉAN DE NUAGES. Et le soleil qui se levait. C’est la plus belle chose que j’aie jamais vue. Vraiment. J’aurais pu en pleurer, j’aurais pu éclater de rire, ou en crier. Finalement j’ai juste contemplé bouche bée. Le Rotary Club a déserté, nous sommes seuls face à la beauté, avec notre petit déjeuner. On joue avec les Kea qui investissent les lieux.

Le soleil vient de se lever…
Mon ami le Kea

Mes amis partent les uns après les autres. C’est à mon tour. Je salue et j’embrasse Christina et Joe, ce couple qui me vend du rêve à barouder en Asie et en Afrique. Je voudrais être comme eux dans quelques années. Ils me donnent des conseils pour Bali, et me conseillent d’y faire de la plongée sous-marine. Christina me dit : «I think you’re really brave. The way you’re doing things. I mean it. » Cette phrase c’est comme une flèche qui me transperce le cœur. Ça me touche, ça me remplit d’un sentiment inconnu. J’en frissonne. Je me mets à pleurer sur le chemin. A ce moment-là, c’est comme si quelqu’un me disait qu’il voyait les efforts que je déploie, les changements dans lesquels je m’investis tous les jours, mes essais, surtout. Quelqu’un que je ne connais pas et qui m’encourage dans cette voie. Qui ne me dit pas ‘tu peux y arriver’ mais ‘tu y es déjà arrivée’.

J’atteins Control Gates vers midi. La descente n’était pas exceptionnelle et puis toute la partie Brod Bay jusqu’à Control Gates je l’avais déjà fait lors de mon escapade Geocaching. Voilà. C’est fini. J’ai achevé ma première rando toute seule. Et c’était bon, c’était même au-delà du bon. A ce moment-là, je ne voudrais pas que ça s’arrête, je voudrais passer ma vie sur les tracks de Nouvelle Zélande, encore et encore.

Control Gates – I did it!

Kepler Track. 60km. 4 jours. 3 nuits. Kepler, tu m’as éblouie. Tu n’étais pas insurmontable. Tu m’as confortée dans mes capacités, mais surtout tu as confirmé ce que je pressentais déjà… La montagne ça me gagne, la rando c’est mon nouveau credo, marcher c’est kiffer, bref. J’en veux encore.

Arrivée au DOC (Department Of Conservation), je me paie le fameux diplôme, puis je cours m’acheter un chicken thaï pie et un blueberry muffin chez Miles Better Pie et j’engouffre le tout au bord du lac. J’y trempe mes pieds sales et je rentre à la maison. A pieds, évidemment.

Mon diplôme 🙂

CE QUE J’AI EMPORTE :

  • Un sac de couchage + un drap de soie
  • Une serviette microfibres, un torchon, une éponge
  • Une trousse de toilette avec des médocs + des lingettes bébé
  • Un bonnet + des gants
  • Un leggings + un débardeur + 2 tshirts (dont un sur moi) + 1 tshirt à manches longues + 1 bas de pyjama + deux paires de chaussettes + quatre culottes
  • Une paire de flip flops + une paire de lacets de rechange
  • Un gas cooker + une popote + des couverts + un briquet
  • Un couteau suisse
  • L’Ecume des jours + un colouring book + mon travel book + une trousse avec des feutres

CE QUE J’AI OUBLIE ET CA AURAIT ETE VACHEMENT BIEN D’EN AVOIR :

  • Des boules quies. Les randonneurs ça ronfle sec.

MES REPAS :

  • BREAKFAST : Un sachet d’avoine + 100g de muesli + un thé
  • LUNCH : Un pack de noodles + une pomme + des dattes
  • DINNER : 100g de riz + une soupe en sachet (faire cuire le riz dedans !) + des dattes
  • ENCAS : 100g de mélange de graines et de fruits secs + deux carreaux de chocolat + une barre de céréales + thé et/ou chocolat chaud

Y ALLER :

KEPLER TRACK, Fiordland National Park, Te Anau

MILES BETTER PIES, Milford Rd, Te Anau


 

 

 

LE KEPLER TRACK EN BAROUDE SOLO
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