Y’A 4 ANS, JE PERDAIS MON JOB DE RÊVE.


J’ai toujours cru que la vie se divise en plusieurs “ères” qui à un moment ou un autre doivent s’éffondrer totalement avec pertes et fracas pour laisser place à une nouvelle “ère”.

Ci-dessous, le récit d’un de ces effondrements.

(Read this post in English, baby!)


Y’a 4 ans, je perdais mon job de rêve.

Oui, parce qu’avant d’être baroudeuse en carton, j’étais libraire.

Ça faisait 5 ans que je vendais des bandes dessinées chez Virgin (oui tu sais, la compagnie de Richard Branson, le mec qui rêve d’ouvrir l’espace aux touristes) – et en 2013, la compagnie faisait faillite et fermait tous ses stores en France.

Ce qui représentait un peu plus de 1 000 employés sur le carreau.

En France, en 2013, c’était pas grand chose, ça arrivait (presque) tous les jours ces grandes compagnies qui fermaient leurs portes, laissant sur le trottoir des licenciés économiques enragés, impuissants, démunis.

Ouais, mais crois-moi, ça prend une toute autre dimension quand ça t’arrive à toi. C’est même une très grosse tarte dans la gueule.

En une du 20 minutes

Y’a 4 ans, j’me suis battue pour une cause, j’me suis battue pour un job –qui je pense est toujours l’un des plus beaux métiers du monde, j’me suis battue pour l’importance de l’accès à la culture, et j’me suis battue par solidarité pour mes collègues, qui pour la majorité d’entre eux étaient aussi mes amis. Mais avant tout, et pour la première fois de ma vie, j’me suis battue pour moi-même. J’pouvais le sentir dans mes tripes : « Céline, si tu ne te défends pas, si tu ne te bats pas, tu vas le regretter toute ta vie. » Donc, j’ai rejoint l’offensive. Je pouvais pas regarder le bateau couler sans rien faire.

Y’a 4 ans, on est entrés en grève. On a d’abord fait quelques manifs, à Strasbourg puis à Paris, pour finalement décider d’occuper notre magasin. Nuit et jour. Ça a duré 11 jours. Lors de ces journées plus qu’incertaines, on a donné tout ce qu’on avait : on était créatifs, agressifs, et super actifs. D’interviews en concerts improvisés, d’installations artistiques en pique-niques sur le trottoir devant les portes grillagées, de slogans anticonformistes en photos débiles, on était plein de ressources pour sauver un minimum notre peau.

On se serait crus en colonie de vacances des fois : on se réunissait tous les jours au rez-de-chaussée dans notre magasin vide, sirotant thé ou café et débattant des actions passées et à venir. On dormait sur des matelas gonflables éparpillés au rayon CD du deuxième étage. Evidemment, la clim’ fonctionnait plus depuis belle lurette, et Dieu qu’il faisait chaud en ce mois de Juin 2013. On dormait à peine. J’me rappelle la chaleur, et ce moment où on décidait avec ma collègue et amie Elsa, de prendre un bain de pieds dans l’évier de la cave – là où se trouvait notre salle de pause et nos toilettes. Même qu’on s’est trouvé un moment pour regarder Game of Thrones, l’épisode du Red Wedding, si tu te souviens bien, qu’on a fait tourner sur l’écran géant du rayon DVD. Tout le monde au-dehors nous baratinait avec cet épisode, mais nous on était au-dedans, dans notre bulle de grévistes aux gilets rouges. J’me souviens de nos cris d’étonnement à la fin de l’épisode, de nos soupirs d’injustice qui résonnaient dans le magasin vide.

Photo postée sur Facebook – “Vous dormez? Nous pas.”

Y’a 4 ans, dans notre peine et notre désespoir, on a quand même trouvé la force de nous battre. On a trouvé du bonheur et de la fierté. On a trouvé de la générosité aussi, venant d’anciens clients et de passants qui venaient nous amener de la nourriture, des encouragements et un peu de réconfort. Là, tu vois, c’était la première fois que j’ai vraiment expérimenté la générosité gratuite.

Y’a 4 ans, on a gagné. On les a eues ces indemnités de licenciement décentes, et ces budgets pour de nouvelles formations. Mais surtout, on l’a gagnée cette fierté d’être un peu plus que de simples anonymes qu’on peut virer sans même un merci. J’me rappelle de nous, accueillant la nouvelle de la victoire par une danse sous la pluie, devant l’enceinte de notre Virgin Strasbourg de 3 étages qui bientôt n’existerait plus.

Y’a 4 ans, c’était la fin de tout ce que je connaissais. Et le début de tout le reste. Une espèce de carrefour particulier, toujours aussi vif à mon cœur, entre ma vie rangée de citadine strasbourgeoise, et la vie nomade que je mène aujourd’hui à Taïwan.

Si je devais penser aux pourquoi et comment j’en suis venue à voyager comme ça, je ne mentionnerais plus cette rupture amoureuse douloureuse qui m’avait laissée pantelante. En fait, si j’y regarde bien, ça a commencé bien avant. Tout a commencé juste là, dans les dernières heures de ce magasin strasbourgeois, où je portais pour la dernière fois mon gilet rouge pleins de badges.

Ça a commencé quand j’ai décidé de me battre pour moi-même, de me défendre, et que j’ai réalisé que c’était une bonne chose, en fait. Quelque chose dont je serais toujours fière.

Nos vitrines remplies de nos gilets rouges garnis d’épitaphes.

Parce que c’est un peu ce que j’arrête pas de faire depuis. Ecouter mes tripes, sur les chemins les moins attendus. En sachant que clairement ce sera pas simple, mais que c’est ce que je dois faire maintenant si je veux être heureuse. Pour ne rien regretter.

Y’a deux ans, j’me suis battue pour moi-même à nouveau. J’ai décidé de quitter ma vie sédentaire qui marchait plus trop du feu de Dieu depuis que j’avais perdu mon job de rêve. J’ai vendu mes affaires et j’ai pris un avion pour la Nouvelle-Zélande. J’suis toujours complétement perplexe et paumée sur mon futur. Mais j’ai décidé de réaliser quelques rêves au passage. De me tenir bien droite, et de me battre pour ça. Tous les jours je m’affirme, et j’apprends. Contre toute attente, j’suis toujours vivante, en bonne santé, et clairement heureuse de vivre de cette façon. M’affirmer, me défendre, me battre pendant cette grève, c’était comme ouvrir la boîte de Pandore : j’ai compris que je pouvais me battre pour ma liberté.

Photo postée sur Facebook – “Comme à la maison. Sans rancune.”

Je me rappelle. Tant de gens nous disaient qu’on pouvait pas gagner. Que nos manifs et notre grève étaient inutiles. Mais les employés de Virgin, à l’échelle de la France, brandissaient cette phrase de Mark Twain comme bannière : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » – Et on l’a fait, bordel. Contre toutes attentes, on a gagné. Et c’est clairement la plus belle leçon que la vie pouvait m’offrir.

Y’a 4 ans, je perdais mon job de rêve.

Mais j’y trouvais l’énergie de la liberté.

@Nicolas Messyasz

EN SAVOIR PLUS:

Page Facebook gérée par la Strike Team: Soutien Salariés Virgin Strasbourg

Article dans le 20 minutes: “Virgin Megastore baisse le rideau définitivement”

Article dans La Feuille de Chou: “Occupation du magasin Virgin Strasbourg”

Article dans Rue89 Strasbourg: “Six employés de Virgin occupent le magasin de Strasbourg”

Article dans le JDD: “Les Virgin veulent un plan social digne”

Site web du photojournaliste et auteur de la dernière photo: Nicolas Messyasz


 

Y’A 4 ANS, JE PERDAIS MON JOB DE RÊVE.
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7 thoughts on “Y’A 4 ANS, JE PERDAIS MON JOB DE RÊVE.

  • 23 February 2018 at 21 h 12 min
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    Dieu que c’est mal écrit.
    T’sais, c’pas parce que tu met des apostrophes partout qu’ça rend bien ou qu’ça fait familier.

    Reply
    • 14 March 2018 at 2 h 40 min
      Permalink

      Disons que la manière dont j’écris mes articles ne regarde que moi.
      Je suis navrée que ça ne t’ai pas plu, mais c’était ma manière d’exprimer un ressenti particulier par rapport à une situation particulière.
      En fait, je te dois aucune explications. J’espère juste que le message que j’ai voulu transparaître dans cet article t’auras touché quand même.
      Sinon, et bien, il y a des liens en bas de l’article pour expliquer ce qu’il s’est passé -si effectivement c’est quelque chose qui t’intéresse.

      Reply
  • 6 May 2019 at 22 h 07 min
    Permalink

    Dieu que c’est bien écrit et que cela m’a apostrophé. Mais au delà de la forme, c’est le fond qui m’a touché.

    Mon métier c’est l’emploi ; je vous côtoie tous, toi, elle et lui. Je vous écoutai, je vous entends enfin.

    “La plupart du temps, nous mourons de faiblesse, nous de mourons de ne rien oser”
    Alain Fournier

    Reply
    • 14 May 2019 at 23 h 21 min
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      Merci Seb pour to message.
      Ca me touche énormément, vraiment 🙂

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